Ainsi que Carl Gustav Jung l’a développé, notamment dans son ouvrage Psychologie et Alchimie, la symbolique présente dans l’Alchimie a une correspondance directe avec la psychologie humaine et l’évolution au cours de la vie.
Tous ces héritages culturels (écrits, traditions, symboles de pierre du Moyen-Age et de l’époque moderne) sont d’une aide précieuse pour pouvoir avoir des repères plus précis sur les différentes directions et méandres que prennent notre chemin (notre labyrinthe…).
La présentation des étapes de « l’œuvre » (travail sur soi ou sur la matière) ici sera succincte et non exhaustive, d’autant plus que je n’ai pas encore eu l’occasion de lire l’ouvrage de Jung cité plus haut. Cependant, il parle de ce thème dans d’autres ouvrages.
- L’œuvre au noir est la première étape, également appelée « Nigredo »
Il s’agit d’une période de perte de sens et de dépression, qui si elle est dépassée, précède une période de changements et d’élan créatif. C’est une phase d’introspection et de solitude.
Cette étape a été pour moi la longue remontée d’éléments souvent négatifs enterrés dans mon inconscient personnel : il faut accepter pour cela de se confronter aux aspects les plus sombres de soi. Ainsi cela a recouvert durant 3 ans environ quelques problématiques psychologiques personnelles, certains problèmes de santé, un certain mal-être par périodes. La phase noire se termine par une « apocalypse », illumination ET effondrement de la personnalité (des défenses ?), comme une sorte de mort permettant la renaissance et l’accès à l’œuvre suivante, la blanche (Cf rêve d’Apocalypse dans l’article sur l’Inconscient collectif).
St Georges tuant le dragon, cathédrale de Bâle
Les alchimistes disaient qu’il fallait « rendre le fixe volatile », rendre l’âme volatile, en la désolidarisant du corps où elle était cachée. Pour cela, intuition et expérience sont nécessaires.
- Elle est suivie de l’œuvre au blanc, ou première conjonction (âme + esprit)
C’est une phase de sérénité contemplative, de conscience plus aigüe. On idéalise à ce moment l’inconscient qui nous a offert de si beaux fruits. L’euphorie qui peut en résulter amène à risquer l’inflation : sensation de toute-puissance due au fait que l’on pense que les formes humaines pleines d’énergie auxquelles on est confrontés dans « notre » inconscient nous appartiennent. Or, nous ne sommes pas des dieux…même si nous pouvons trouver à l’arrière-plan de notre être une force humaine plus universelle, qui a au fil des siècles inspiré des projections dans des dieux que les hommes pensent extérieurs à eux. Toujours est-il que nous sommes alors bercés par cette paix intérieure, grâce à l’ « Unio mentalis », unification de l’âme et l’esprit (par enlèvement de l’âme au corps), de l’intellect et du cœur.
Cette étape a été pour moi un moment extra-ordinaire, hors du quotidien. Après la descente de nulle part d’un amour et d’un bien être, signe d’un gros changement psychique, j’ai été animée d’une énergie dont je ne savais plus quoi faire…j’étais dans un état de béatitude où je me sentais planer. Le revers de cet état, (outre les quelques moments où je me sentais effectivement pour ainsi dire toute-puissante…), c’est que je n’étais pas vraiment présente aux gens qui m’entouraient, ni aux situations. On est alors comme privé « du sang de la vie » et des relations humaines. L’état intérieur était si gratifiant et agréable que le monde intérieur prenait le pas sur certains volets extérieurs et relationnels de ma vie. L’aspect « numineux » de cette expérience (rencontre avec un aspect divin d’une partie de ma psyché et de mon inconscient, NB. Je suis athée) explique ce grand chambardement. Pour comprendre l’étape suivante, il est important de mentionner que durant cette période, j’ai commencé à projeter le « soi » (centre de gravité de la « vraie » personnalité, entière, entre le conscient et l’inconscient) sur une autre personne de même sexe que moi avec qui j’ai vécu une amitié fusionnelle telles qu’on peut en connaître durant nos jeunes années.
L’œuvre au blanc est une période de confusion/fusion, entre le conscient et l’inconscient, qui peut correspondre à la puissance du transfert/contre transfert pour les personnes qui font une analyse. Entre féminin et masculin aussi (apparition de rêves d‘hermaphrodite par exemple.) Il est important d’avoir un conscient et un moi capable d’encaisser et d’accueillir toutes ces retombées de l’inconscient (collectif cette fois, contrairement à l’œuvre au noir) et les événements extérieurs qui y font écho, car notre santé mentale est alors en jeu.
Ayant cherché des écrits sur la façon dont d’autres personnes peuvent vivre ces expériences humaines et en ayant trouvé très peu, cela me motive à écrire sur le sujet et donner mon témoignage afin que peut-être cela serve à quelqu’un qui se sent de la même manière isolé sur son propre chemin (différent du mien comme nous le sommes tous) car on ne trouve que très peu d’échos dans notre société matérialiste. La plupart de nos congénères ne s’intéresse absolument pas à l’âme et son vécu conscient, bref à une quelconque spiritualité, ce que je comprends car avant d’en ressentir la nécessité et que cela me « tombe dessus », je pensais qu’on pouvait tout à fait vivre sans ou que cela n’existait pas. A posteriori, je m’aperçois que je passais à côté d’une grande partie de …mon humanité.
Eglise St Etienne du Mont Paris, la licorne symbolise l’oeuvre au blanc. Que ferait-elle sur cette arche de Noé? Lion: oeuvre au rouge. Le corbeau relâché par Noé n’apparait pas sur cette représentation (oeuvre au noir).
- L’œuvre jaune signe une phase de retrait des projections, de désillusion.
Dans le cadre d’un transfert dans la vie quotidienne ou en analyse, c’est un moment où on se rend compte que les qualités qui inspirent admiration et amour chez l’autre sont en réalité…les nôtres, le charme cède.
L’œuvre jaune a débouché pour moi sur une période extrêmement difficile, bien plus que l’œuvre au noir.
- L’œuvre au rouge ou deuxième conjonction (corps + âme + esprit)
Elle consiste en l’intégration du corps pulsionnel et passionnel (la nature) au duo âme-esprit. Il s’agit aussi d’intégrer la fonction inférieure (voir série d’articles sur les types psychologiques), présente dans le corps somatique (pour ma part, il s’agit de la fonction « sensation ») et de commencer à équilibrer les quatre fonctions (intuition/sensation/pensée/sentiment) autour de notre « soi ». Les émotions se déchaînent durant cette période. Cette phase ramène à terme la personne, devenue « vir unus » (ou « mulier una » ?) dans le monde.
Il s’agit d’une expérience de la passion au niveau le plus archaïque, de la rencontre des couches archaïques pulsionnelles. On peut comparer ce moment à la tentation par le Diable, à la brûlure cuisante dans le feu d’un transfert violent. Apparaissent dans les rêves des images primordiales très énergétisées.
Ceux qui parviennent à traverser ce stade, sont sans doute extrêmement rares dans notre société occidentale du XXIe siècle…sachant que l’époque chrétienne n’a permis d’atteindre « que » l’unio mentalis, dans le meilleur des cas. A cause du rejet du corps, peut-être, de la femme et de tout ce qui s’y rattache…et aussi sans doute parce que l’époque fait que nous n’étions pas prêts…
D’autre part, la souffrance de l’œuvre rouge est telle physiquement et moralement qu’il faut être complètement fou pour persister dans le chemin et y rester, bien qu’une fois sur la croix…on n’a plus tellement le choix et on se contente de survivre. Peut-être vaut-il mieux donc ne pas trop savoir ce qui nous attend…
Cela a donc lieu dans le corps, l’écartèlement a lieu entre deux parties de notre être qui se battent violemment, qui nous fait beaucoup souffrir, l’âme est tiraillée entre le bien et le mal, entre le vice et l’éthique qui finit par être vécue dans notre être entier et notre corps. Ce vécu touche notre intimité la plus profonde et je ne m’étonne plus, après avoir commencé à entrevoir ce que cela touche, que les personnes qui y passent ne s’étendent pas sur le sujet : cela nous appartient en propre et est difficile à livrer à autrui, peut-être faut-il d’ailleurs le garder secret pour que cela opère.
C’est comme si dans un long et grand incendie, l’âme et l’esprit étaient enracinés de force dans le corps (rêves de fours…)
Griffon château de Pierrefonds (volatile fixé?)
Alors, au terme de cette phase, apparait une « pierre vivante », « un cristal fossile et vivant », une nouvelle unité créatrice, une union de l’esprit et de la matière, possédant un « pneuma » : un esprit.
Pour illustrer cette phase, voici un rêve :
– rêve de pierre vivante (de statue), évoqué dans les articles sur les synchronicités et l’Inconscient collectif, il date d’un peu plus d’un an, je le transcris à nouveau ici :
« Je rêve d’une statue en métal gris, vivante mais immobile sauf les yeux qui me suivent. Je suis avec des amis proches et ma famille nucléaire. Un peu plus loin, je vois le plafond de la chapelle Sixtine. C’est magnifique, bien que le plafond soit bien plus bas qu’en réalité et qu’il y ait des étais soutenant certaines parties du plafond. NB : C’est sur le plafond de la Chapelle Sixtine, qu’on peut admirer le chef-d’œuvre de Michel-Ange : « la création d’Adam ». Je n’ai trouvé le sens du symbole de la statue que très récemment dans le livre « Mysterium Conjunctionis » de Jung : Adam, homme façonné par Dieu selon la tradition, était à un stade de son développement « statue » incomplète, faite de matière et esprit. Je n’avais avant de lire le chef-d’œuvre de Jung fin 2016 aucune connaissance de ce détail de la statue et n’avais donc pas compris jusqu’alors ce qu’elle signifiait dans ce rêve.»
Pour arriver là, il faut beaucoup simplifier sa vie, avoir du temps pour nous connaître et nourrir notre vie intérieure. Nos emplois du temps de ministres ne nous aident pas, mais il est possible de prendre davantage de temps pour soi. La question que je me pose est de savoir si les personnes extraverties peuvent vivre tout cela sans avoir vraiment conscience de ce qui se passe à l’intérieur (je suis particulièrement introvertie!). Peut-être que les crises de mi-vie, les adultères ou autre relèvent de ces mouvements psychiques. Peut-être que tout le monde n’est pas destiné à vivre ce genre de choses (rôles différents dans une société?).
Après que l’œuvre blanche a « rendu le fixe volatile», à présent l’œuvre rouge rend « fixe le volatile », et ça…cela me parait le plus difficile dans une vie. Au mieux, si on arrive jusque-là c’est-à-dire qu’on dépasse le degré d’évolution du christianisme en réussissant à intégrer le corps dans notre unité, on y passera sûrement la deuxième moitié de sa vie.
Au terme de l’œuvre au rouge, on devient serein, centré, on goûte au miel du sens de la vie (la vie est colorée dans ses moindres détails), mais tout en sachant l’amertume et le mal qu’elle contient. On a fait descendre les idéaux, l’esprit, dans le corps pour les vitaliser dans une joie de vivre. Nous avons porté le monde et les passions à une dimension symbolique, le monde intérieur et extérieur se relient en nous. Cela nous permet de saisir l’unité du monde. On prend racine et est capable de relation d’amour aux autres. Mon vécu me fait intuitivement penser que…c’est dans le cœur qu’a lieu la jonction entre âme, corps et esprit, c’est dans le cœur où se joue la décision, le CHOIX, qui fait pencher l’âme du « bon » côté, du côté éthique, vécu à présent dans la chair. Mais seul l’avenir me le dira, car il faut un certain recul pour comprendre les événements qui surviennent dans notre vie psychique.
Dans l’inconscient, le temps n’existe pas. Pas de passé, pas de futur. Ces phases de l’oeuvre alchimique peuvent avoir lieu en plusieurs cycles, de plus en plus rapides à chaque fois. Elles peuvent se chevaucher, avoir lieu dans un ordre légèrement différent (rêves prospectifs durant une phase différente).
–L’Unus Mundus (Corps + âme + esprit avec la Nature entière)
C’est la cinquième étape, on n’est pas spécialement pressés d’y être…car j’ai comme l’impression qu’elle intervient à la fin de la vie. Si je me trompe, je ne suis pas contre la connaitre un jour avant cela ! Cependant, Jung qui ne l’a lui-même sans doute pas atteinte, disait que cette phase n’était pas atteignable à son époque…
La quintessence alchimique, la synthèse du conscient et de l’inconscient, le mariage sacré (entre les volets masculin et féminin de l’être), la résonance entre le microcosme (monde dans l’être humain) et le macrocosme (monde), le monde unifié, l’âme du monde, y font référence. La trinité chrétienne est complétée, enfin réunifiée avec le féminin et l’humain. On débouche sur une conscience dans laquelle « l’Eros », le sentiment, se développe en assumant la responsabilité de nos préférences et de nos choix, et est marié au Logos (pensée). On peut alors, dotés d’un jugement éthique, prendre des décisions en conscience et poser des actes sensés dans notre vie.
Cela mène au « remède universel » qui selon les alchimistes rajeunit, prolonge et fortifie l’existence. La guérison se double du renouvellement de la personnalité. L’énergie des archétypes (représentés par les images) est le point central entre les deux cieux. Le soleil invisible les expriment par des images, il est à l’origine du rêve. J’ai l’impression que ce remède universel est en fait la capacité à soigner les autres en projetant sur eux la lumière obtenue en nous.
J’ai l’impression que le ciel intérieur est dans le corps (âme + esprit réintégrés dans le corps y donnent accès ?) car lorsque des émotions remontent par mon corps, ce sont les images des rêves qui souvent m’en libèrent.
J’ai également fait un rêve qui évoque macrocosme et microcosme. (Rappelons-le, un rêve peut être prospectif, annoncer l’avenir possible. Il ne parle pas forcément du présent.)
Je regardais le ciel, les étoiles de la porte-fenêtre d’une maison, puis de la terrasse adjacente : soudain j’y vois quelques étoiles colorées (bleues ? rouges ?) et là je m’insurge, contre ces hommes qui vont jusqu’à conquérir le ciel et y mettre leur touche, leur empreinte. Dans le rêve, je préfère le ciel vierge, aux étoiles blanches, là où l’homme n’a jamais mis les pieds et qu’il n’a pas dénaturé.
Pourquoi cette colère ? Je ne sais pas. En tant qu’humain, nous sommes libres lorsque nous avons évolué d’aimer quelqu’un qui ne sera pas tout (choix de l’œuvre au rouge, ou comment comprendre et aiguiller notre désir, ou le mariage de l’amour et de l’esprit), et de comprendre en partie…
L’œuvre mène donc à concilier l’homme, le dieu et (le plus difficile) l’animal. Tout cela est notre vie intestine, personne extérieurement ne peut se douter de ce vécu. La seule chose qui se voit de l’extérieur, c’est que la personnalité change, les relations aussi, que des actes sont de plus en plus posés, sensés, que les circonstances de la vie se mettent en mouvement pour apporter à la personne ce dont sa nature profonde a besoin, moment après moment.
Cloître cathédrale de Narbonne, symbolisant le soi au centre de la personne.
Cloître St Guilhem du Désert
* Pour ceux qui souhaitent lire sur le sujet, je vous conseille « Les facette de l’âme » de Marie-Laure Colonna, dont certaines des idées ont alimenté cet article. Mais seule l’expérience, certainement très personnelle à chacun permet de savoir de quoi il est question ici.
*Pour ceux qui veulent comprendre comment au fil des siècles certains hommes ont laissé des guides à l’individuation dans les peintures et la pierre des églises et autres monuments, voir les vidéos de Patrick Burensteinas.