Aux onze arcanes suivants (grands mystères) se rajoute le Mat, carte non numérotée.
- Le pendu XII: (force interne et non plus seulement externe comme dans la lame précédente). Il représente la culpabilité à nos yeux et à ceux des autres (elle nous étouffe), les chaînes, les remords, l’esclavage psychique/vis-à-vis de nos passions. Les liens avec les autres sont plus oppressants que salvateurs. La verticalité est difficile (notre vie est suspendue dans une attente), nous n’assumons pas notre verticalité, notre statut d’être humain. Il est urgent que notre corps et notre mental s’accordent. La tête du pendu est en bas, il reprend des forces au contact de la terre (régénérescence chtonienne). Les moyens matériels deviennent inefficaces pour la suite de la progression, l’initié entre dans un monde renversé.
Ci-dessous un christ à l’envers pris en photo sur le portail de l’église de Pont l’Abbé d’Arnoult (17), XIe XIIe siècles.
- Lame sans nom (la mort) XIII: La mort symbolise la fin d’un cycle et de ses illusions/habitudes/pensées/attachements périmés. Mais aussi la peur du changement (poids du passé), l’angoisse, la peur de la mort vécue par l’ego. L’autre signification de l’arcane est la transformation vers un nouvel état, le changement profond de l’homme par l’initiation, la renaissance vers la vie et le progrès, vers un meilleur bien-être. Certains rêves initiatiques s’y rapportent, comme la mort de ses parents symboliques, « tués » pour devenir un adulte, atteindre la maturité et le recul psychologique. Une vie nouvelle est promise, mais il convient de suivre les étapes. Les lames qui suivent sont à caractère plus céleste.
- La tempérance XIV: (lame de mort et renaissance) Lorsque l’on a conscience de ses limites et que l’on a atteint un équilibre intérieur, on est prêt à affronter la venue du Diable. On fait preuve d’une maitrise du désir, de modération et mesure (ciel et Terre). Il y a dans cette lame une idée de circulation des fluides, d’équilibre cosmique et corporel.
- Le diable XV: Centre de nuit, représentation masculine/paternelle négative, le diable divise et manifeste nos points faibles. Il provoque une régression vers un désordre physique/moral/métaphysique. Manifestation de notre part d’ombre, le diable a accès à notre inconscient le plus sombre (peurs/vices) pour nous y confronter. L’ombre prend parfois le visage d’un proche qui personnifie notre part d’ombre négative, il peut avoir une emprise négative sur notre psychisme (traits de caractères pervers ou manipulateurs aux influences fâcheuses) : nous sentons alors le besoin de nous en défaire. Le diable est le symbole de la plus grave des tentations : assouvir ses passions à n’importe quel prix (surexcitation/faiblesse). La soumission aveugle à ses instincts est dangereuse, tout autant que la tentation d’avoir un pouvoir occulte. Les symboles associés au diable peuvent être le dragon/serpent, l’ange déchu. Le diable est hermaphrodite. Il vient affronter seulement les âmes capables de l’affronter. Lorsqu’il apparait, il y a en perspective un travail de réunification, une synthèse et un dépassement de ces forces déstructurantes de la personnalité.
- La maison-Dieu XVI: La tour est un principe phallique, évoquant le psychisme masculin. Cet arcane fait écho au mythe de la Tour de Babel, ou à celui de Prométhée (puni pour avoir voulu égaler les dieux). L’orgueil de l’homme voulant égaler le créateur et rejoindre le ciel l’amène à chuter de cette tour si haute, car le châtiment divin ne tarde pas à tomber, le reconduisant à sa place. La verticalité de l’homme est certaine, mais qu’il monte trop haut par la conscience et il risque l’isolement (tour d’ivoire), la démence, la chute. Le corps est indemne suite à cette chute. Le nombre 16 étant dynamique, la crise est salutaire et la suite du chemin s’ouvre alors. Après l’éclatement de la contraction (« L’abîme s’oppose au Nirvana », Jacob Boehme), il est contraint de trouver un sens.
- L’étoile XVII: Première apparition des astres dans les lames du Tarot : l’homme s’ouvre au mystère du sommeil et de la nuit, commence à se mêler à la vie cosmique et à prendre conscience de la destinée des hommes et du sens de la vie. On peut être né sous une bonne étoile… Le cœur a sa place ici : l’étoile est un centre de lumière, où règnent espérance et amour. Selon Tristan Moir, l’étoile est magique et puissante. A 5 branches, elle représente l’homme. Celle qui a 6 branches représente le cœur (centre d’énergie) qui s’ouvre à l’amour divin. Le triangle vers le bas représente les forces telluriques, la terre, le féminin, le sexe féminin, tandis que celui dirigé vers le haut représente les forces spirituelles, le ciel, le masculin. Le cœur est la rencontre de ces forces, leurs épousailles. Cela me fait penser au Mysterium Conjunctionis de Jung, mariage du masculin et du féminin en soi. Il y a un retour aux sources (eau). Les étoiles rêvées représentent aussi les constellations familiales, les interdépendances. Si les étoiles bougent, il y a transformation. L’étoile filante, quant à elle symbolise la réalisation de nos souhaits/émerveillements devant les instants de beauté fugace. Enfin, l’étoile est signe de créativité en cours, d’une naissance, d’une réalisation, un mouvement de formation de soi et du monde. L’inspiration de l’artiste, ses désirs inexprimés sont en route.
Ci-dessous un vitrail de la cathédrale de Bâle (Suisse) avec une étoile à 6 branches.
- La lune XVIII: La lune est porteuse des valeurs du passé, riche de tout l’inconscient. On voit sur la carte deux chiens psychopompes (accompagnant les âmes à travers la mort), et une écrevisse (qui mange ce qui est transitoire). Cet arcane montre trois plans : astres/terre/eaux. La lune est un astre de la nuit, des transformations intérieures, et des cycles. Elle éclaire la nuit en reflétant la lumière alors que le soleil la dissipe. Il y est question de la mort. L’homme meurt deux fois…selon Plutarque, la lune est le séjour des hommes bons après la mort. La lune, qui attire les émanations telluriques, symbolise aussi la féminité inconsciente, intuitive et cyclique. Artemis est associée à la lune (vierge farouche), il s’agit donc d’une représentation de la femme mais pas de la mère. Le volet négatif de ce symbole est la peur de la femme. La lune éclaire le chemin de l’imagination et de la magie. C’est l’heure d’un exercice de conscience, d’un retour sur soi.
- Le soleil XIX (lame de triomphe) : C’est l’arcane de l’illumination totale et de l’objectivité : l’homme est au sommet de l’initiation, il n’est plus seul. Le soleil fait disparaître l’illusion de l’ombre et montre la réalité et la vérité. Ce symbole est un symbole de conscience, de rayonnement, richesse, lumière intérieure, clarté, connaissance, énergie fécondante, de vie et d’unité. Il y a en outre dans ce symbole un volet masculin : il représente le père positif, un père spirituel éclairant. Le fait que l’on rêve de soleil sans le voir de face signe le fait que la conscience contemple le monde et pas elle-même. La lumière va de l’intérieur (de nous), vers l’extérieur.
Les jumeaux apparaissant sur la lame symbolisent l’harmonie des opposés qui deviennent égaux et tendent à l’unité. C’est cet équilibre qui nous mène vers la lumière de la connaissance. Ainsi, la phase d’opposition interne et duelle est résolue. Elle a été conscientisée pour être dépassée. Les jumeaux intègrent les côtés mâle et femelle, actif et passif, Adam et Eve pour créer la pierre philosophale, le Graal, l’hermaphrodite initial. L’homme a pris l’exacte mesure de lui-même et de ses possibilités.
- Le jugement XX: L’homme peut être jugé en totalité, en lui-même et dans ses œuvres. Il s’agit d’une résurrection, d’un réveil après la mort. La grande-mère ou le vieil homme de Jung en sont les représentations (le soi). L’appel de l’esprit (principe unificateur qui pénètre et sublime) est victorieux, et il n’y a pas de véritable action qui ne vienne de l’âme (intuition et affectivité enrichissent la pensée.)
- Le monde XXI: C’est la synthèse de tout ce qui a été obtenu. Sur cette carte apparaissent :
Un cheval (bœuf) : la chair : symbole de l’homme, la matière n’a pas d’auréole de sublimation: correspond à : terre-soir-occident-automne
Un lion : jaune avec auréole couleur chair : matière déjà en voie de spiritualisation: feu-midi-été-sud
Un aigle : représente les forces inconscientes sublimées : jaune et ailes bleues, l’auréole est rouge : l’esprit domine les instincts: air-est-matin-printemps
homme/ange : esprit : valeur suprême moteur de toute action, terme de toute évolution: eau fécondante-nuit-nord-hiver
La guirlande est rouge car l’esprit est le point de départ/le centre/l’aboutissement.
La forme de la mandorle est le symbole de l’union entre terre et ciel (cf Christ/Vierge/divinités hindoues).
La femme est en équilibre ET en mouvement, elle a un voile sur épaule gauche.
Le monde est un tourbillonnement, une danse perpétuelle où rien ne s’arrête, une
« Structure d’antagonisme équilibré » selon Gilbert Durand.
Cette carte fait aussi penser au tétramorphe chrétien: les quatre symboles des évangiles: le aigle, taureau, homme et lion (ces images présentes dans l’inconscient de l’homme surgissent ici et là, dans une religion ou un rêve, comme une plante pousse sur un rhizome pousse à différents endroits sans qu’on en voie les racines.) Ci-dessous le portail royal de Chartres (époque romane).
- Enfin le Mat, sans numéro: ainsi que l’écrivent Jean Chevalier et Arthur Gheerbrant dans leur Dictionnaire des symboles, l’homme après avoir obtenu de ce monde tout ce qu’il peut donner, reconnait qu’il ne possède rien de valable et retourne en conséquence à l’inconnu, à l’inconnaissable qui précède et suit sa vie. Devant cette double impasse, il continue de chercher mais en ayant admis dans son intelligence et accepté dans ses souffrances de son corps qu’il y a une différence de nature entre Dieu et nous. Le seul rapport avec lui résiderait dans l’espérance, l’abandon et l’amour. La passivité prend alors un caractère sublime. On trouve dans les écrits sur les rêves de Tristan Moir un parallèle entre le fou qui ose et le sens profond de sa sagesse individuelle. Sens caché du langage du rêve transmettant une vérité, sens profond des actes et des paroles, rupture avec le monde matériel dans le sens d’une libération.
Cet article a été rédigé à partir du travail sur les symboles de ces trois auteurs.
Leur suite constitue un ensemble de points de repères précieux pour qui veut savoir où il en est sur ce chemin solitaire que l’on parcourt les yeux fermés.
Quelques jours après la rédaction de ce texte m’est revenu un rêve que j’avais oublié concernant le tarot de Marseille: je voyais des livres dans une benne de déchetterie et à côté, un jeu de tarot dont je savais que je devais le prendre à la place des livres (que je dévore au quotidien depuis l’enfance). Quelques temps plus tard, j’ai acheté ce jeu dans la réalité et découvert ses images dans leur ensemble. J’en connaissais déjà quelques-unes au travers des interprétations de Tristan Moir.