FJ : « L’homme en tunique de peau », vie 1

Mathurin est marin. Il aime la liberté, l’océan, le mouvement…son bateau et son métier de pêcheur, c’est son oxygène. Lorsqu’il rentre à terre, il est heureux de voir les siens, mais il ne peut jamais rester enfermé trop longtemps. Le large l’appelle, le large l’aime, et il l’aime plus que tout au monde.

Marie est sa femme. Ils ont été mariés dans la chapelle de St Cado en l’an de grâce 1599, par le prêtre Jean, qui les a vus grandir. Marie est si heureuse lorsque Mathurin accoste au petit port breton. Il est comme la moitié de sa chair et lorsqu’il n’est pas là, elle regarde chaque soir le coucher du soleil sur l’eau, appelant son retour de tout son être. Peut-être auront-ils bientôt un enfant bientôt, ils ont le temps, ils sont si jeunes. Elle rêve de lui donner un fils, un garçon solide qui aurait le même visage que son père, parsemé de taches de rousseur, au regard profond et bleu.

Un soir, le bateau tant attendu ne rentre pas. Ce sera pour demain. Marie essaye d’étouffer l’angoisse sourde qui monte en elle. Le lendemain, le jour, interminable, s’achève sans que rien ne trouble la ligne de l’horizon de l’océan. A la nuit tombante, elle se précipite à la chapelle pour prier et l’appeler, de toutes ses forces dans l’ombre que seul le halo de la bougie qu’elle vient d’allumer ensemence. En sortant, elle se tient au mur de granite, prise d’un vertige.

Elle évite les autres villageois, sa famille, surtout les deux autres familles qui attendent les autres pêcheurs que personne n’ose dire disparus, comme si cela allait sceller leur sort.

Le lendemain la colère s’empare d’elle, la consumant littéralement : il l’a abandonnée !! Après si peu de temps ensemble, alors qu’elle en rêvait depuis si longtemps, depuis toujours…veuve !? A cet âge !? Elle en veut à lui, à elle-même, de l’avoir laissé partir ce jour-là, à Dieu, elle blasphème, hors d’elle, crache sur le Christ qui n’a rien fait malgré toutes ses prières, toutes ses supplications.

Peu à peu, jour après jour, la lueur de vie s’éteint dans les yeux de Marie. Elle sait en son cœur et son corps, qu’elle ne reverra pas l’amour de sa vie. Une nuit, dans un rêve, elle a eu la vision du bateau, parti vers l’ouest. L’ouest, c’est la direction du pays des morts.

Un matin, son frère la trouve inanimée, dans la grange. Depuis un mois, elle s’est laissée mourir. Personne n’a rien pu faire. Elle git sur la paille, les joues cireuses. La couleur de la vie l’a quittée, la couleur de la passion qui a animé toute sa vie: cet amour inhumain pour son soleil perdu.

Saint Pierre, cathédrale Maguelone (XIIe siècle), Hérault

 

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